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14 février 2011 1 14 /02 /février /2011 21:28

J’avais annoncé, au cours des Chroniques d’Annie, qu’un deuxième volet de cette histoire familiale préciserait pourquoi Raymonde Borgniet avait interrompu sa participation à l’hebdomadaire du P.C.F, La Champagne ouvrière et paysanne.

C’est un véritable procès de Moscou qui s’est déroulé en plusieurs étapes. Il s’est articulé en quelques phases rapides, nouées après la condamnation du chef de l’état yougoslave, Tito, par le « Bureau d’information » des Partis communistes européens. Mon père n’a pas vu venir ce mauvais coup.

En 1948 donc, quand « l’affaire » commence, il a 34 ans. Instituteur détaché pour convenance personnelle, il est avec Charles Guggiari co-gérant à plein temps du journal L’Union. Il est salarié du journal à hauteur de ce que serait son traitement d’instituteur. Ce journal avait été fondé pendant la Résistance par Emile Forboteaux, du réseau Libé-Nord, déporté en 1944, et mort à Neuengamme. Le titre est repris à la Libération par un collectif d’organisations de la Résistance, dont le Front national pour la Libération, où l’influence communiste est grande. C’est cette organisation que représente Léon Borgniet, Charles Guggiari représentant Libé-Nord. (L’Union portera en bandeau « Grand journal issu de la Résistance » jusqu’à sa prise de contrôle par le groupe Hersant). Le journal s’installe à la Libération dans les locaux rémois de L’Eclaireur de l’Est, suspendu pour collaboration. Outre ce travail très prenant, mon père assume également depuis la Libération des responsabilités politiques considérables : conseiller général de Reims (Il reverse ses indemnités de conseiller général au Parti), membre du secrétariat de la fédération communiste de la Marne ; en tant que militant, il assure bénévolement la parution hebdomadaire de La Champagne ouvrière et paysanne, organe du P.C.F, fondé en 1936. Supprimé lors de la mise hors la loi du Parti Communiste en 1939, l’hebdomadaire a trouvé un second souffle à la Libération. Le premier directeur de la publication en fut Yves Angeletti, député de la Marne, puis après sa démission pour raisons familiales en 1948, le député Alcide Benoit. Hélène Nautré, qui le suivait sur la liste, devint alors député en juin 1948, et se vit attribuer le titre, sinon la fonction de directeur de la publication. Léon Borgniet remplace à partir du 23 janvier 1949 le rédacteur en chef Fraytet. En fait, il fabriquait pratiquement le contenu du journal depuis longtemps, assisté d’un conseil de rédaction, il assurait les comptes-rendus de l’activité des conseillers généraux du Parti.

Apparemment, rien ne destinait le jeune instituteur rémois de l’avant-guerre, syndicaliste convaincu mais de sensibilité plutôt pacifiste et libertaire, à devenir un dirigeant communiste. C’est la guerre qui a poussé cet homme énergique et décidé (capturé lors de la déroute de 1940, il s’évade aussitôt) dans les rangs du P.C. : après des contacts avec Libération-Nord, il adhère au P.C en 1943 et passe aux F.T.P.F (pseudo : « Merlin ») dont il devient un responsable actif. Il sera un des responsables du Comité de Libération. On constate donc que ces trois années et demie qui suivent la Libération, 1945-1948, ont été des années de militantisme extrêmement prenant.

J’ai rapidement présenté sa biographie dans les Chroniques d’Annie, déjà données sur ce blog. J’en rappelle les traits essentiels : Léon Borgniet est né en 1913. Il est pupille de la Nation : son père a été tué devant Verdun. Il est élève de l’École Normale de Chalons, devient instituteur, a une importante activité syndicale sans engagements politiques, et pratique activement différents sports à la F.S.G.T. Résistant, nous l’avons vu, à Libé Nord, puis aux F.T.P, il fera également partie d’un réseau qui permit le passage en zone Sud d’une famille rémoise victime des lois anti-juives et hébergea des pilotes américains (un certificat en témoigne).

Il y a peu, un ami historien me soumettait un projet de biographie de mon père destinée au Dictionnaire du mouvement ouvrier (Maitron). Un paragraphe de cette biographie « officielle » m’apparut mériter quelques éclaircissements. Je lisais en effet :

« Dans la fédération de la Marne, Borgniet occupa des responsabilités de premier plan : bureau fédéral (1944-1945), secrétariat fédéral (1946-1948) chargé de la propagande, relevé en novembre 1948 en raison de son comportement lors de l'affaire Angeletti, ramené au bureau fédéral (1948-13 novembre 1949), rédacteur en chef de l'hebdomadaire fédéral La Champagne (août 1948- novembre 1949), comité fédéral. Il n'y fut pas réélu en mars 1950 et de plus fut relevé de sa fonction de co-gérant de L'Union de Reims. Il était accusé par la direction de la fédération d'avoir manqué de "vigilance", d'avoir censuré des articles de La Champagne " de façon à dénaturer la politique du Parti à propos de la Yougoslavie", d'avoir entretenu des relations avec des responsables exclus du Parti et des militants trotskistes. D'autre part, L'Union, qui avait obtenu tous les biens de l'ancien Eclaireur de l'Est, partageait des locaux avec La Liberté des Ardennes, journal communiste. L'Union voulut récupérer ses locaux et Borgniet en tant que gérant, mit en demeure les dirigeants communistes d'avoir à déménager. Cette attitude fut jugée "odieuse" par les militants concernés qui obtinrent des sanctions contre Borgniet. Un grand malaise s'en suivit et selon le rapport de Joinville (26 septembre 1951), il était "un des principaux responsables des grandes difficultés de la fédération". »

Je n’ai pas voulu donner mon aval à ce constat, car, si bien évidemment je connaissais les accusations (j’avais 14-15 ans à l’époque, et je vivais chez mes parents), je n’ai pas voulu cautionner des accusations puisées dans les documents conservés au comité central du PC, (documents à partir desquels la biographie était en grande partie établie), et encore moins celles qui faisaient de mon père un trotskiste et un titiste. Non qu’il fût déshonorant de l’être, mais parce qu’en l’occurrence il ne l’était pas. Voici donc maintenant les pièces du procès. Le contexte historique a été esquissé dans les "Chroniques d’Annie" : le monde est en pleine guerre froide, avec de lourds conflits régionaux : guerre au Viet-Nam, bientôt en Corée, sur fond de Pacte atlantique et d’Appel de Stokholm. La Champagne se fait l’écho de la lutte idéologique contre la droite, la S.F.I.O, le nouveau syndicat F.O, machine de guerre contre la C.G.T, le trotskisme toujours présent, le Pape qui excommunie non seulement les communistes, mais les lecteurs de leur presse… Et le journal L’Union qui, certes, publie dans une tribune libre, chaque semaine, un article du P.C, mais se trouve dans une mouvance idéologique consensuelle… Rien d’étonnant que ce journal subisse à plusieurs reprises, dans le dossier qui va suivre, les foudres du PC local.

Le plus offensif de ses représentants est Jean Pelle, un jeune menuisier récemment « monté » dans l’appareil, frais émoulu de l’École centrale du PC. Le premier secrétaire fédéral, Albert Morin, (envoyé par le Comité central après la démission d’Yves Angeletti) est un ancien déporté, célibataire, et se présentant lui-même comme « un soldat du Parti ».

Le procès

Le 9 juillet 1948, est publiée dans La Champagne la Résolution du Bureau d’information (autrement dit Kominform), signalée en première page, elle couvre 5 colonnes en page 4.

Le 23 juillet, un article signé Léon Borgniet en page 1, intitulé « Les défenseurs de Tito » évoque « la position trotskiste de Tito » et affirme : « Les amitiés particulières dont Tito fait aujourd’hui l’objet éclairent singulièrement la situation yougoslave » (est cité notamment Sarragat). En page 4 est publiée la « Résolution du Comité Central du PCF » sur la Résolution du Bureau d’information. Le Bureau fédéral de la Marne approuve de son côté cette résolution et « exprime toute sa reconnaissance au glorieux Parti Communiste Bolchevik de l’URSS et à son guide génial, le camarade Staline ».

Le 1er août, un article de René Tys (ouvrier aux teintureries Laval de Reims, et responsable fédéral), intitulé « Les aventuriers de Belgrade » affirme : « Le « Congrès » de Tito justifie la critique du Bureau d’information ».

Le 8 août 1948, en première page, un portrait de Staline surmonte l’article « L’URSS rempart de la paix dans le monde ». Le 22 août 1948, en première page, l’article « Tito le fratricide » dénonce « l’assassinat du camarade Yovanovitch ».

Un an se passe sans interventions sur la Yougoslavie.

Le 28 août 1949, en première page, « Le tyran de Belgrade n’est pas la Yougoslavie ». « Scandaleuse diffusion de fausses nouvelles pour affoler l’opinion publique » (il s’agit de soi-disant préparatifs d’agression de l’URSS contre la Yougoslavie).

Le 4 septembre 1949, un nouvel article signé René Tys : « Aux ordres des capitalistes, Tito prépare un mauvais coup contre l’Albanie ».

Le 18 août 1949, René Tys : « Tito trahit le prolétariat mondial ».

Le 8 octobre, Jean Pelle : « Tito le rampant ».

23 octobre 1949, l’erreur.

Interviewée par La Champagne, en titre gras « notre camarade Liane Lelaurain dénonce la méthode titiste ». Un article très violent sur la misère du peuple, le flicage, les communistes emprisonnés, et le chantage du salut à Tito dont est victime le groupe de visiteurs dont font partie Liane Lelaurain, ancienne déportée, et son compagnon rencontré au camp, un Yougoslave qui a pris le nom de Jean Laurencier. Dans cette première page, Jean Pelle signe un article très offensif contre Tito. La machine est en route.

30 octobre 1949, page 1, encadré : mise en garde du Bureau fédéral face aux agissements des traîtres et des espions titistes et de leurs complices. Même page : « Les victimes du traître Tito accusent », signé René Loreau. Sur la même page, « Lettre à Staline » signée Annie (le texte est dans Chroniques d’Annie).

6 novembre 1949, la première page titre : « Manquer de vigilance, c’est affaiblir le Parti et trahir la confiance de la classe ouvrière ». Sous-titre : « Quelles sont les causes de ces faiblesses coupables, et comment les corriger ? » Extrait de l’article signé Albert Morin, secrétaire fédéral : « […] faiblesses qui ont conduit la direction fédérale et la direction de La Champagne à sous-estimer l’activité des provocateurs titistes à Reims où résident ces deux directions. […] ces titistes et leurs agents ont pu venir jusqu’au sein même du parti exercer leur activité provocatrice ». En page 4, même antienne avec un autre article : « Manques de vigilance ».

13 novembre 1949, Jean Pelle, dans le compte-rendu de la Conférence fédérale : « Des agents titistes personnifient dans la Marne cette partie du front des impérialistes dans leur préparation à la guerre impérialiste… On ne saurait tolérer la moindre complaisance […] contrôler les tâches dans le style du travail Stalinien, comme France Nouvelle du 31 octobre nous en donne un exemple si vivant ». (France Nouvelle était un hebdomadaire national du PC).

20 novembre 1949, en page 1, sous le titre « Tito menace l’Albanie et la paix » : « Les Marnais s’opposeront à cette politique en dénonçant impitoyablement les agents titistes qui s’efforcent de semer la confusion et de tromper la classe ouvrière ». 27 novembre 1949, page 1. Intervention de Maurice Thorez : « Le PCF condamne Tito et sa clique, vulgaires agents des puissances impérialistes ».

4 décembre 1949, page 1. Le Comité fédéral condamne les fautes opportunistes qui ont conduit à l’affaiblissement du camp démocratique. Il appelle à la vigilance révolutionnaire. Morin et Borgniet sont nommément condamnés pour avoir opéré des coupures dans un article de Thorez du 16 octobre 1949, et avoir laissé publié, voire avec une certaine indulgence, l’interview de Liane Lelaurain, retour deYougoslavie. En page 4, paraît un nouveau compte-rendu du Kominform sur la « clique à Tito ».

11 decembre 1949, en page 1, Jean Pelle appelle à la préparation de la Conférence fédérale des 4 et 5 février. (Son ton menaçant n’empêche pas Annie de présenter vaillamment sa chronique hebdomadaire). Hypothèse : ni l’un ni l’autre de mes parents ne subodorent ce qui va s’abattre sur eux. Pourtant chaque semaine martèle la mise au ban de Tito.

Le 18 décembre 1949, une manchette annonce la diffusion de la brochure « La Yougoslavie sous la terreur de la clique Tito ». Une longue citation de Staline contre le trotskisme occupe la moitié d’une page spéciale.

Le 1er janvier 1950, page 5, extrait sur 3 colonnes de la fameuse brochure citée le 18.

Le 8 janvier 1950, page 1, article de Jean Pelle intitulé « A bas la guerre impérialiste, à bas le fasciste Tito ».

Le 15, « Les partisans de la paix ne laisseront pas Tito assassiner Youkovitch et Hebrany ». Une tribune pour le Comité fédéral signée Maillochon appelle à la vigilance révolutionnaire.

Le 29 janvier 1950, nouvel article anti-titiste d’un syndicaliste de la Haute-Marne. 5 février 1950, annonce de la conférence fédérale qui se tient ce jour-là. Hasard ? En page 1 on apprend que le Bureau fédéral critique les conseillers généraux PC (Borgniet, Kinet, Benoît) qui ont félicité le préfet pour sa Légion d’honneur : déviation parlementariste.

Question : Léon Borgniet et Raymonde réalisent-ils ce qui se prépare à leur endroit ? Mon hypothèse est que non : lui n’est pas persuadé que cette interview de Liane Lelaurain soit une erreur gravissime. Il estime être dans la ligne par rapport à Tito, et il l’est, en communiste discipliné. Il a fait son autocritique. Mais l’essentiel de son activité n’est pas dans l’appareil : son activité à L’Union est très prenante ; on l’a vu, il est l’un des deux co-gérants permanents (avec Charles Guggiari) du journal, dont ils ont fait un grand journal régional : il visite souvent les agences locales dans les départements limitrophes. Son activité à la tête de la Commission départementale du Conseil Général est aussi très absorbante. Il pense jouir de la confiance du Parti et de ses militants, même s’il subodore que les communistes anciens résistants ne sont pas toujours en cour (ainsi Guingoin). Mais il n’a jamais imaginé être accusé un jour d’un quelconque déviationnisme. Les attaques réitérées contre L’Union, l’accusation de dérive parlementariste au Conseil Général, auraient dû pourtant l’alerter. Il n’est pas salarié par le Parti, il ne baigne pas dans l’appareil. Son accusateur principal, Jean Pelle, malgré son jeune âge, connaît et pratique la stratégie qui va aboutir à une purge.

La Champagne du 12 février titre en page 1 : « Magistralement clôturés par Jacques Duclos, les travaux de la IX° conférence fédérale… » et poursuit en page 5 : « stigmatise avec force tous ceux qui soutiennent de loin ou de près les titistes et les trotskistes. Il ne peut être question d’être pour Tito et pour la paix… » [le plus étonnant dans cette histoire, aucun des protagonistes n’est pour Tito…], « erreurs opportunistes en face des menées criminelles des agents de Tito. […] dans la Marne, manque de vigilance ». Au Bureau fédéral et au Comité fédéral nouveaux, le nom des Borgniet disparaît (pourquoi Raymonde ?). La résolution de la conférence fédérale « dénonce la trahison de Tito et de sa clique ».

Le soir du 6 février, après la conférence fédérale, accueillis à la table d’une amie de longue date, j’ai vu mes parents effondrés, ma mère en larmes, se raccrochant cependant à l’intervention courageuse de Fernand Kinet qui, après d’ignominieuses attaques personnelles, était venu déclarer à la tribune : « Je garde toute ma confiance au camarade Borgniet ».

Le 12 mars 1950, page 1, titre : Exclusion « Liane Lelaurain » et son compagnon « yougoslave dit Jean Laurencier ont été exclus des rangs du PCF pour activité désorganisatrice en liaison avec des éléments titistes » [où comment un voyage, sans doute proposé à ce couple avec quelques arrière-pensées vu la situation de la Ligue des Communistes Yougoslaves, mais imprudemment accepté comme une chance pour elle de connaître le pays de son compagnon, s’est transformé en catastrophe : mis au ban du parti, dans la tristesse et le dégoût, d’après une ancienne déportée, ils ont quitté Reims pour toujours].

Le 14 mai, Alcide Benoît revient sur la nécessaire vigilance à l’égard des partisans de Tito.

Le 21 mai, Jean Pelle réaffirme : « partir en Yougoslavie, c’est se prostituer au fasciste Tito ». Même antienne le 21 mai : « Non, les jeunes n’iront pas en Yougoslavie fasciste » (Marcel Nautré).

Le 4 juin, « Jeune, ne pars pas chez Tito » (A.Goeorgel).

Le 18 juin, « Jeune, prends garde aux offres alléchantes de Tito le bourreau » (Jean Pelle).

Le 2 juillet : « Un cégétiste ne va pas chez Tito », signé FEN CGT dont Grégoire et Marie-Ange Patigny (est visé l’instituteur Jean Lambert).

Le 1er octobre 1950, La Champagne publie en dernière page une lettre accusatrice contre le régime de Tito, signée par deux jeunes ouvriers de chez Renault, qui sont allés chez Tito (mais ne sont pas condamnés pour autant. Il est vrai qu’ils ne sont pas communistes).

Et après…

Chacune des « Chroniques » d’Annie est dans la stricte ligne du Parti. Pourtant Raymonde Borgniet fera partie de la même charrette que son mari. Mieux, ou pire, (ils) mes parents m’avaient encouragée à faire partie d’un club de basket ouvrier, celui des Teintureries Laval (c’était bien que je fréquente des filles d’ouvriers…). Mauvaise pioche. Je suis évincée du club. Voilà ce qui, toutes proportions gardées, signe un procès de Moscou.

Albert Morin, le "soldat du Parti" désavoué, s’est retrouvé sans emploi. Un dimanche matin, accompagné des Borgniet et des Kinet, il a pris le train de Paris, avec une méchante gabardine où le détachant avait laissé des auréoles. Il espérait trouver là-bas un point de chute. Il a envoyé une ou deux cartes postales.

Jean Pelle s’est donné la mort en 1954, en raison de chagrins intimes, selon L’Union.

La Champagne est devenue le 12 août 1951 un simple bulletin ronéoté, puis a cessé de paraître.

Tito a retrouvé la confiance du camp socialiste en 1955, et s’est cantonné dans le groupe des non-alignés avec Nehru et Nasser.

Tout ce gâchis pour ça.

Ce récit n’a pas de prétention véritablement historique. Simplement, je n’ai pas apprécié que l’on accepte comme argent comptant la « vérité » des archives du Comité Central. Léon Borgniet ne se considérait sûrement pas comme un soldat du Parti. Il a dit, après son procès, « Je vais écrire à Maurice », ce qu’il n’a pas fait, à juste raison. Lors des rares commentaires que j’ai entendus de lui sur cette affaire durant les années qui ont suivi, il se contentait d’incriminer l’étroitesse d’esprit, la sottise, l’incompétence maligne de ses détracteurs. Il en voulait à Fernande Valignat, l’accusatrice envoyée par le Comité central, pour ses condamnations vindicatives. Il avait apprécié la sagesse de Jacques Duclos : « Les portes du Parti restent ouvertes ». D’ailleurs il n’avait pas été exclu, et gardera sa carte du Parti jusqu’à sa mort. Mais en réalité, il était, je crois, stalinien, reprenant les phrases-clés genre : « on ne fait pas d’omelettes sans casser les œufs », « pas de liberté pour les ennemis de la liberté », « l’Armée rouge, c’est l’armée des ouvriers et des paysans ». En 1968, il a manifesté comme tout le monde, mais sur les positions du P.C. En août 1968, il comprenait l’intervention en Tchécoslovaquie (pourtant, en septembre où je l’accompagnais en RDA pour une officielle célébration de la Résistance, le groupe français n’a pas eu les honneurs de la tribune…) Stalinien, mais tranquille et sûr de lui. Son adhésion n’avait pas été, comme pointé récemment dans la revue Psychiatrie – Politique, « un acte d’auto-destruction ». Au contraire. Certes, cet épisode l’a profondément troublé. Je crois qu’il l’a aussi éclairé. Il est devenu le patron du SNI jusqu’à la retraite, puis bénévole à la MAIF et à la MAE. Il a même assisté à un Premier Mai à Moscou. « C’était quand même un peu long » fut son unique commentaire.

Juste un éclairage extérieur : Voici comment Hannah Arendt éclaire le système totalitaire, qu’elle oppose à la tyrannie : « Le sujet idéal du système totalitaire n’est ni le nazi convaincu, ni le communiste convaincu, mais l’homme pour qui la distinction entre fait et fiction, et la distinction entre vrai et faux n’existaient pas ». Il ne s’agit pas d’établir une équivalence entre nazisme et communisme, dont les fondements et les buts sont antinomiques, mais de pointer une terrifiante et humaine tentation.

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